Le premier jet de mon roman : Le monde des perles

Publié le par gaellemilde

Tous avaient une vie semblable à celle que vous connaissez, mais ils avaient choisi de vivre différemment. Tous avaient disparu de la vie de leurs proches, sans donner signe de vie et réapparaissaient parfois sans donner la moindre explication, pour disparaître à nouveau, à intervalles irréguliers, jouant souvent l’amnésie ou s’inventant une vie lointaine.

C’était la seule façon de protéger leur monde de l’affluence, de la pollution et de la cupidité des êtres humains.

Parfois, pourtant, ils donnaient la clé de l’accès au monde des perles à d’autres, à ceux qui souhaitaient une autre vie, loin des hommes, et qui ne risquaient pas de trahir le secret.

J’étais de ceux-là. De ceux qui avaient appris de la bouche d’un chercheur de perles ou d’un idéaliste que ce monde étrange existait.

Le monde des perles était invisible au commun des mortels, mais les Portes qui y menaient étaient nombreuses et souvent si évidentes que les esprits cartésiens n’y voyaient que du feu.

Un escalier taillé dans la roche qui semblait ne mener nulle part, une alignée de pierres dressées, un tumulus, une pyramide, un fort, une statue, un calvaire, tous monuments si anciens que personne ne savait qui les avait érigés, et qui permettaient le passage d’un monde à l’autre.

Ce monde était si différent de celui que je connaissais jusqu’alors que, la première fois que j’en franchis une, je pensais être dans un rêve. Les couleurs en étaient chatoyantes et pastelles, tout y était fort et doux, banal et splendide, une chose impossible pour mon esprit terrien, inapte à associer de telles contradictions.

Hormis les Portes qui menaient à la terre ferme, la vie se menait sur l’eau, mais chose extraordinaire, l’eau était non seulement pure et claire, mais aussi bien bleue que jaune par endroit, ou verte, ou rose. Le climat semblait associé à la couleur de l’eau et changeait au rythme des tornades qui traversaient sans cesse le monde des perles.

Les tornades n’étaient souvent que des répliques miniatures de celles que nous connaissons par le biais des médias et qui font des ravages dans les grandes villes côtières, mais elles avaient la particularité  d’être toujours présentes et d’être de la couleur des perles qu’elles charriaient.

Les plus anciens habitants du monde des perles y vivaient depuis des générations et n’avaient parfois jamais passé la moindre porte. Pour les autres, il était moins dangereux de se rendre sur Terre en passant par les Portes au milieu de la nuit, de peur de tomber nez à nez avec un groupe de touristes médusés par l’apparition subite d’un voyageur.

Près des Portes les plus fréquemment utilisées, il n’était par rare de trouver des complexes hôteliers très confortables, dont le prix était fonction de la région dans laquelle se trouvait la porte jumelle. Pour les Portes Françaises, il s’agissait de vin, de parfums, ou de tous autres produits dont la réputation avait franchi l’espace et le temps, pour les Portes chiliennes, du Maïs, du quinoa ou certaines laines rares… à chaque Porte sa monnaie… mais bien plus précieuses y étaient les perles.

Un phénomène curieux rendait les perles colorées et très cassantes. Nul  ne savait d’où elles provenaient car elles ne ressemblaient en rien aux perles terrestres.

La plupart du temps, elles arrivaient en miettes sous l’effet des tornades, aussi quand l’une d’entre elles était intacte, elle pouvait acheter tout ce que son propriétaire pouvait souhaiter. Cependant, aucun de ces heureux veinards ne se séparait jamais d’elles, car elles avaient des propriétés extraordinaires.

Tout, en ce monde, était contradiction. Aussi les perles étaient-elles à la fois sombres et lumineuses, transparentes et opaques, chatoyantes et ternes. Mais par-dessus tout, celui qui les tenait entre ses mains devenait clairvoyant et maître de sa destinée, ce qui était l’assurance pour lui du bonheur perpétuel. Parmi toutes les perles, les plus puissantes, et donc les plus convoitées, étaient celles de couleur bleue, mais elles étaient également les plus rares car les tornades bleues étaient les plus violentes de toutes, et ne laissaient souvent qu’une nuée de poussière bleue sur leur passage.

Aussi, la question était de savoir où les tornades bleues prenaient leur source, mais personne n’avait jamais vu la naissance d’une tornade. Tout n’était que spéculation. On ne savait pas si les eaux bleues produisaient des perles bleues, vertes ou mauves, ni si les tornades naissaient sur la terre ou dans les airs. Bien des chercheurs de perles avaient essayé de se convertir en chasseurs de tornades, mais il valait mieux se fier au hasard qu’à la science car il semblait que les tornades cessaient toute activité dès qu’on cherchait à en croiser une, tandis qu’une dizaine pouvaient se succéder sous vos yeux en quelques minutes alors même que vous souhaitiez simplement parler avec vos amis ou profiter d’un instant de calme.

Une autre particularité de ces tornades pourrait se rapprocher d’un aspirateur à soufflerie, non pas en ce qui concernait la poussière mais le son. En effet, Si des hurlements étaient provoqués par le passage de la tornade, ils n’étaient pas audibles à l’endroit où cela se produisait, mais des dizaines de kilomètres plus loin, où régnait le calme le plus complet quelques instants auparavant, comme si les tornades avaient le sens de l’humour et voulaient semer la confusion. Et comme les tornades arrivaient sans autre souffle de vent ni signe avant- coureur, il était impossible de prévoir que les hurlements de l’enfer allaient vous exploser aux oreilles ; et si, bien sûr, vous aviez vu sa longue spirale colorée se diriger vers vous et que vous vous prépariez à son arrivée, elle changeait de direction pour aller surprendre quelqu’un qui avait le dos tourné ou les yeux clos, pour mieux le surprendre. Il n’y a pas si longtemps, je ne connaissais pas même l’existence d’un tel endroit, et aujourd’hui, je vous le décris comme si j’y avais vécu toute ma vie car je dois dire que c’est l’impression que j’en ai.

 

Tout a commencé voici un peu plus d’un an, alors que je rencontrais Michaël, un adolescent de treize ans, qui avait une vision un peu idéaliste de l’espèce humaine et ne s’attirait que des ennuis avec ses camarades. Il semblait ne pas comprendre pourquoi les enfants de son âge se réunissaient en petits groupes et passaient leur temps à parler d’émissions de télévision qui lui paraissaient sans intérêt, alors que lui essayait de se mêler au plus grand nombre et se passionnait pour les mythes et légendes, l’histoire et la géographie, et était si confiant en la nature humaine que le moindre tour que jouaient ses camarades le plongeait dans un étonnement pantois.

Ses professeurs disaient de lui qu’il prenait trop à cœur les conflits qui avaient lieu dans la classe, qu’il semblait désorienté dès qu’un mot était prononcé plus haut que l’autre. En classe d’histoire, les débats devenaient vite passionnés quand on cherchait à expliquer les raisons des conflits passés, car Michaël ne comprenait pas les notions de frontières, de peuples et d’intérêts nationaux. Il se voulait proche de tous et de chacun et la moindre animosité entre les êtres humains était incompréhensible à ses yeux. On le retrouvait souvent dans un recoin de couloir en train de pleurer, le plus souvent après les cours si animés d’histoire, ou après une violente bagarre dans la cour de récréation qu’il n’avait pas réussi à faire cesser, car il s’interposait toujours, essayant de raisonner ses camarades, sans succès.

Du fait de son pacifisme à toute épreuve, il était souvent raillé par les élèves les plus turbulents. Quand on le frappait, il ne se défendait jamais, mais on pouvait lire dans ses yeux le désoeuvrement qu’il ressentait.

Michaël était un enfant aimant mais désespéré, et qui portait sur ses épaules tout le poids du monde, mais qui jamais ne se serait retourné contre ses tortionnaires, qui jamais n’aurait essayé de se défendre sinon par des mots de paix. Même les adultes avaient du mal à le comprendre, et beaucoup pensaient qu’il devait s’endurcir pour faire face à sa future vie d’adulte, ou risquer de vivre enfermé dans un monde idéaliste, mais impossible, et perdre la raison.

Lorsque le principal du collège m’appela, Michaël était dans son bureau, et pleurait à chaudes larmes car ses camarades de classe avaient franchi un pas supplémentaire dans la barbarie. Voilà comment les faits me furent décrits :

Alors que Michaël était en grande discussion historique avec un autre enfant, Simon, une nuée d’élèves s’étaient jeté sur eux. Trois d’entre eux maintenaient fermement Michaël pendant que tous les autres passaient à tabac son camarade sous ses yeux. Bien entendu, Michaël se débattait et hurlait à qui voulait l’entendre d’arrêter ça, de laisser l’autre en paix, rien n’y faisait. Il fallut l’intervention de cinq surveillants et de trois professeurs pour faire cesser l’abominable jeu, qui valut un séjour à l’hôpital à un malheureux innocent, qui avait eu le malheur de se trouver au mauvais endroit, au mauvais moment. La salle de retenue était d’ores et déjà réservée à toute cette bande pour la durée de l’année scolaire et on attendait d’une minute à l’autre la plainte des parents de l’infortuné Simon, qui risquait de coûter sa carrière au principal, éberlué par tant de violence et d’inhumanité gratuites.

Les agresseurs de Simon avaient affirmé n’avoir fait cela que pour voir jusqu’où Michaël resterait pacifiste, en voyant quelqu’un attaqué devant lui, puisqu’il ne réagissait jamais quand on s’attaquait directement à lui. Ils s’attendaient sans doute à ce qu’il se libère plus violemment qu’il n’avait tenté de le faire, qu’il frappe dans le tas pour libérer son ami. Mais l’incompréhension de Michaël face à la violence était complète, au point qu’il lui était impossible d’être violent, quelles que soient les circonstances.

Quand j’arrivais dans le bureau du principal, j’aurais pu croire que Michaël avait assisté à la fin du monde, et que rien ne pourrait le consoler. Le principal se tenait la tête entre les mains et était perdu dans ses pensées, aussi, quand je passais la tête par la porte, je crus déceler une lueur d’espoir dans ses yeux quand il se tourna vers moi.

Il me raconta le déroulement des évènements une seconde fois, on aurait pu croire qu’il avait appris son discours par cœur, car les mots qu’il employa résonnaient comme un écho à mes oreilles, et peu lui importait que Michaël soit témoin de ce déballage des évènements de la journée, il n’eut pas un regard dans sa direction, et semblait indifférent aux sanglots croissants qui emplissaient la pièce.

Ce dernier me regardait de loin, en reniflant bruyamment à chaque respiration, et son regard cherchait dans le mien un tant soi peu de compréhension à sa tristesse.

Le principal acheva son exposé en m’indiquant que la famille du petit était injoignable, et que les pompiers lui avaient donné mes coordonnées, en tant que psychologue spécialiste des adolescents, ne sachant vers qui d’autre le diriger.

M’empressant de le rassurer sur ma capacité à l’aider en de telles circonstances, je lui demandais s’il disposait d’un lieu où je pourrais avoir une entrevue avec l’enfant qui se répandait de plus en plus en larmes devant nous, et il fut décidé que la salle de documentation équipée de fauteuils confortables serait idéale à cette heure où tous les élèves étaient en cours, aussi m’y accompagna t’il et en referma t’il la porte derrière l’enfant et moi. S’ensuivit alors une conversation qui m’étonna énormément de la part d’un jeune garçon de cet âge. Alors que tous mes patients adolescents ne parlaient que de leur petite personne et de leur environnement proche, de séries télévisées ou de petites amies, il me parlait d’amour universel, de fraternité entre les hommes, et de son incompréhension si profonde face à la haine que ses camarades lui avaient fait subir par le biais de Simon.

Alors que je m’attendais à un discours plein de rancœur, de haine et de désir de vengeance, il ne faisait que m’abreuver de questions concernant le cœur des hommes. Je cherchais à comprendre comment l’aider, mais son questionnement ne faisait que me pousser à m’interroger moi-même sur  le bien-fondé de tant d’esprit de compétition, de tant de méchanceté dans l’esprit d’enfants aussi jeunes, mais plus encore de tant d’innocence dans celui d’un seul d’entre eux, qui avait à priori grandi dans le même quartier que les autres. Avait-il été surprotégé ? Sa famille faisait-elle partie d’une secte pacifiste ? S’agissait-il d’un choc post-traumatique dû à l’agression dont il avait été témoin ? Ayant été contacté dans l’urgence, je n’avais aucune connaissance de ses dossiers scolaire et médical, et ne pouvais que me poser des questions, qui me paraissaient de plus en plus farfelues au fur et à mesure que je me les posais.

Je décidais d’en avoir le cœur net et pris la décision de raccompagner Michaël chez lui afin de rencontrer ses parents. Eux seuls pourraient m’éclairer sur l’état d’esprit de leur fils, et je ne pourrais pas faire grand-chose pour l’aider si je n’avais pas plus de détails sur leur façon de l’élever et sur son passé.

 

Aussi, le soir venu, me retrouvais-je devant la porte de leur maison. Et je n’étais alors qu’au début de mes surprises, car il s’agissait de la première Porte que je franchissais, même si elle ne me menait pas encore tout à fait dans le monde des perles.

Ici, la lumière était différente. Plus claire, Plus lumineuse, plus présente qu’à l’extérieur, et pourtant aucune lampe n’était allumée. Des tentures habillaient les murs, mais cette maison, qui m’avait semblé si petite avant d’y entrer, n’était qu’une immense pièce parsemée de meubles disposés apparemment au hasard, et entourée d’une mezzanine où l’on pouvait voir des alignées de matelas.

Je pensais jusqu’alors que Michaël était enfant unique, mais c’était peu probable, sinon à qui auraient pu servir tous ces lits ?

Des piles de livres et de papiers de toutes sortes étaient visibles un peu partout, dans un désordre qui aurait horrifié ma mère mais qui me ravissait par la sensation d’ordre qu’il m’inspirait. J’avais sous les yeux ce que j’avais toujours souhaité, un désordre parfaitement organisé, même aux yeux d’un étranger tel que moi.

Michaël, qui était si taciturne jusqu’alors, était devenu enjoué dès que nous étions entrés. Ses yeux pétillaient, il paraissait ne plus avoir peur comme auparavant. Il semblait observer mes réactions avec amusement, et j’avoue que mon sens de l’observation était mis à rude épreuve, j’avais presque oublié pourquoi j’étais venu.

C’est alors qu’apparut, comme surgie de nulle part, une femme magnifique, qui dégageait ce même bien-être que Michaël depuis notre arrivée en ces lieux, et qui d’ailleurs, si elle n’était une femme, aurait été le portrait craché du garçon, j’en déduisis donc qu’il s’agissait de sa mère, quoiqu’elle me parut très jeune pour assumer ce rôle. Mon esprit de psychologue était presque sur le point de rendre cette jeunesse responsable de l’état d’esprit de son fils, quand une autre femme, plus âgée, fit son apparition à son tour, réplique plus âgée de la première, et qui se présenta comme étant la mère de Michaël.

Bien que je ne me sois pas encore présenté, elle ne semblait nullement étonnée de ma visite, mais parut aussi décontenancée que son fils face quand je lui exposais les faits dont son fils avait été témoin. C’est ainsi que je compris qu’elle l’avait élevé dans sa façon de voir la vie : sans y inclure la notion de violence.

Alors que je continuais mon explication, la mère de Michaël m’entraîna dans son sillage vers un petit salon empli de coussins moelleux et confortable, et son jeune sosie m’apporta un grand verre de jus de fruit, ce dont je la remerciais d’un signe de tête, avant de le porter à mes lèvres. Son goût, à la première gorgée, me surprit tant que j’en eus le souffle coupé et ne fus plus capable de prononcer une seule parole. Une onde de bien-être me traversa et  je vis que mes hôtes me regardaient d’un air bienveillant, un sourire radieux aux lèvres. A cet instant précis, j’eus la certitude, d’après leur réaction, que je venais de passer une sorte de test, d’examen de bonne conduite, en buvant ce qu’ils m’avaient offert. Je me sentais en harmonie, en symbiose totale avec le monde entier, un peu comme lors de mes séances de relaxation, et pourtant bien plus encore, et en confiance en ces lieux et en ces personnes. Mon esprit cartésien prit peur, rappelant à ma mémoire toutes ces adolescentes qui venaient me consulter suite à un trou de mémoire, causé la plupart du temps par des drogues administrées à leur insu, dans un simple verre de jus de fruits.

Mon hôtesse me rassura d’un sourire et me dit :

«Aucune drogue ne peut vous mettre en confiance et laisser vos sens et votre esprit en éveil, mais vous avez bien réagi au fruit de l’eau, aussi je sais désormais que vous êtes une personne de bien. Je peux vous expliquer, puisque vous êtes sans aucun doute en mesure de comprendre. »

« M’expliquer quoi ? » demandais-je, curieux.

« Vous expliquer pourquoi la violence est si choquante à nos yeux. Ou plutôt, si inexplicable. »

Commença alors la conversation la plus incroyable de ma vie.

Sabrina, c’était son prénom, m’expliqua qu’elle venait d’un pays où les hommes, les femmes, les enfants, les animaux, la nature en général, vivaient en harmonie. Elle me dit que mes impressions lorsque j’avais porté le jus du fruit de l’eau à mes lèvres étaient un aperçu de l’état d’esprit dans lequel tout à chacun se trouvait chez elle. Je lui faisais part de mon étonnement, mais elle me dit que pour ses compatriotes, c’était cet état d’angoisse, de stress et de violence constante qui était contre nature. Le chacun pour soi était une aberration. Personne n’avait faim ou froid si quelqu’un d’autre pouvait y pallier. La notion d’égalité imprégnait toutes les consciences, le mot même ayant perdu son sens puisque l’inégalité n’avait pas d’existence. La différence était prise pour ce qu’elle était : une richesse. La jeunesse était source de nouvelles idées, d’innovations, de désir de découverte, et la vieillesse synonyme de sagesse, de repos, de connaissance. Pas de gouvernants, pas de gouvernés. Pas de richesse ou de pauvreté, aucune de ces choses qui me rendaient triste ou parfois même malades, aucune de ces choses avec lesquelles j’avais appris à vivre jusqu’à refuser de les voir, pour continuer à vivre dans une paix intérieure relative. Mes connaissances géopolitiques étaient faibles, mais tout de même…je ne comprenais pas. Pour moi, un pays comme celui qu’elle me décrivait relevait de l’utopie. Un pays dans lequel les Hommes faisaient ce qu’ils savaient faire, ce qu’ils aimaient faire, pour eux-mêmes ou pour les autres, où les arts avaient toute leur place sans que personne ne profite de cet état de choses, de quelque façon que ce soit. Impossible. Que penser d’autre ?

L’incrédulité qui se peignait sur mon visage n’arrêta pas Sabrina dans son récit. Elle finit même par me demander si je souhaitais voir ce pays par moi-même. Tandis que je répondais par l’affirmative, me disant intérieurement qu’il me faudrait planifier ce voyage, elle se leva et me pria de la suivre jusqu’à une porte semblant mener sur le jardin.

 

Bien sûr, comme vous l’avez sans doute déjà deviné, aucun jardin ne se trouvait derrière cette porte. Elle fût la première que je traversai. La première d’une longue série. Et je ne me lasserai jamais de les traverser. Je ne serai jamais lassé de ces passages d’un monde à l’autre…

A l’ouverture de la porte, je crus être emporté dans un ouragan violet ! Mais un ouragan n’a pas de couleur, et cet ouragan ne fit que m’ébouriffer les cheveux avant de repartir dans une autre direction, me laissant là, dans l’incompréhension la plus totale, et la voix de Sabrina qui me disait, tout en douceur : « Je pensais bien que vous seriez un empathe. »

 

Je ne comprenais pas un traître mot de ce à quoi elle faisait allusion. J’étais seulement interloqué par son calme face à ce qui venait de se passer.

Une tornade violette s’était jetée sur moi, était repartie sans plus de dégâts, et elle souriait tout en parlant avec le plus grand calme que j’aie jamais vu. Je secouais la tête pour reprendre mes esprits et lui dis :

« - Un quoi ? 

-         Un empathe. C’est la couleur de votre tornade d’accueil qui m’a confirmé votre don. Le bleu, c’est l’empathie, et plus elle est foncée, plus le don est puissant. Au moins vos yeux n’auront pas une couleur trop inhabituelle pour vos semblables. Ils seront juste plus clairs qu’auparavant.  

-         Ma quoi ? Changer la couleur de mes yeux ? Mais de quoi parlez-vous ? »

 

J’étais sous le choc, aussi me ramena t’elle chez elle, traversant la porte dans l’autre sens, pour m’expliquer ce qui venait de se passer. Pour cela, elle mentionna une coutume en détail.

La coutume voulait que, lors de chaque naissance hors du monde des perles, une perle était offerte au nouveau-né. La perle définissait la couleur des yeux de son propriétaire mais aussi ses capacités, que l’on appellerait extrasensorielles dans notre monde de banalité, et qui étaient le lot commun de tous les habitants du monde des perles. Si l’on cherchait à connaître les capacités de quelqu’un, il suffisait donc de regarder la couleur de ses yeux. Un télépathe avait les yeux verts, les devins les yeux jaunes, les empathes les yeux bleus, … etc.… A chaque couleur sa particularité, et le hasard des trouvailles de la famille définissait donc le destin des enfants nés dans notre monde, comme dans nos contrées les prénoms et les signes astrologiques sont censés le faire, si nous en croyons les astrologues et numérologues. Certaines familles préféraient faire naître leurs enfants hors du monde des perles pour pouvoir choisir par la suite leurs possibilités psychiques, car les tornades décidaient, selon leur passage, de ces attributions. En effet, la première tornade que l’enfant rencontrait lui déposait une perle dans les mains, ce qui était à l’origine de la coutume du don…A ce moment du récit de Sabrina, je pris conscience que ma main était restée fermée tout ce temps. Je l’ouvris, et y trouvai une perle violette.

«  Et vous dites que mes yeux ont pris la couleur de cette perle ? » lui demandais-je, soudain inquiet.

« - Tout juste !... Ah oui, ce n’est pas bleu, finalement c’est très violet…. » Elle suspendit sa phrase en me regardant droit dans les yeux et me dit : « ça vous va très bien »

Je fis un bond sur ma chaise et cherchai un miroir des yeux. Lorsque j’en trouvai un, quelle ne fût pas ma surprise de constater que mes yeux marron étaient désormais violets !?...

 

Complètement sonné par tant d’évènements incompréhensibles, je pris congé de mon hôtesse, qui ne me laissa partir qu’après m’avoir fait jurer que je reviendrais le lendemain et que je ne dirais rien à quiconque de notre conversation.

 

Sur le chemin du retour, je me repassai le film de cette étrange soirée, et me rendis compte qu’une chose, sans me frapper au premier abord, m’avait intrigué. Chacun des membres de cette famille, bien qu’ils se ressemblent tous très fortement, chacun avait une couleur d’yeux en propre. Michaël avait les yeux d’un bleu profond, tandis que sa mère avait le regard jaune d’un félin, et que sa sœur arborait un regard vert bouteille, qui vous transperçait. C’était comme si le gêne de la couleur des yeux n’avait pas existé chez eux, ou comme s’ils avaient tous porté des lentilles de couleur. Sans pouvoir dire pourquoi, j’avais tout de suite été convaincu qu’ils ignoraient la notion même de coquetterie, et qu’aucun d’entre eux n’aurait pu avoir l’idée de se parer d’un pareil artifice. Maintenant je savais ce qu’il en était…

 

Le lendemain matin, en me réveillant, j’avais effacé de mon esprit tout souvenir clair des évènements de la veille. Je démarrai ma journée, comme toutes les autres, avec simplement la sensation d’avoir fait un drôle de rêve.

Café noir, Muesli, et jus de pomme pour commencer, puis douche brûlante pour achever de sortir de ma léthargie matinale et, enfin, rasage.

Eau chaude, mousse, rasoir, miroir, stupeur !... Mes yeux sont violets ! Et la journée d’hier de me défiler devant les yeux !

On dit souvent que, au moment de sa mort, on voit toute sa vie défiler. Je sais désormais qu’il n’est pas nécessaire  d’être sur le point de mourir pour assister à ce phénomène… Ne vous est-il jamais arrivé, à vous aussi, lors d’un évènement important de votre vie, de vous repasser le film des évènements moins importants qui vous ont amené à vivre cet instant précis ? Le matin de votre mariage, celui de la naissance de votre premier enfant ou encore le jour où vous décrochez l’emploi de vos rêves ?

Eh bien moi, j’avoue que rien de tout cela ne m’étant arrivé, je ne connaissais pas cette sensation.

 

 

 

 

 

 

 

 

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S
J'ai adoré cette histoire....je voulais te laisser un commentaire dès que je l'ai lu mais apparement...il n'y avait pas moyen...alors maintenant j'en profite pour te dire que c'est vraiment incroyable ce que t'as écrit...j'ai presque l'impression de me retrouver dans cette histoire.... c magnifique!..Tu nous avais caché tes talents d'écrivain...j'ai hate de lire la suite!..bisous
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G
Merci beaucoup Sarah... j'avais un peu laissé de côté mais là, tu m'as reboostée pour continuer ....Je crois qu'il va falloir que je m'y remette pour de bon, le soir, après les meubles en carton....